Depuis plusieurs jours avant et pendant le scrutin du second tour, des accusations ont été lancées par le camp du candidat Ravalomanana (N°25) à l’encontre de celui de son adversaire le candidat Rajoelina (N°13) : des bulletins uniques auraient été dissimulés, des gros billets auraient été généreusement offerts à titre de corruption active, des partisans auraient été blessés ou même abattus, et on en passe.
Ces accusations inquiètent, dans le contexte d’une élection-duel entre deux ennemis politiques de longue date. Les mots « adversaires politiques » seraient trop faibles puisqu’ il y a eu blessures et mort d’hommes (et de femmes et enfants) dans le combat sans merci que se livrent ces deux leaders en l’année 2009.
Ainsi, quand le candidat Marc Ravalomanana a affirmé pince sans rire dans la matinée de la dernière élection qu’il ne reconnaîtrerait pas les résultats au cas où ses suspicions de fraude sous différentes formes seraient « avérées », on ne peut que tiquer. En effet, cet homme-là a assez démontré sa capacité de nuisance dans le passé. Songerait-il à rééditer son « exploit » de 2002 et provoquer ainsi une autre crise post-électorale ? En effet, cette année-là, il s’est emparé du pouvoir au prix de nombreux morts et blessés, après avoir renié un accord signé à Dakar entre lui et son adversaire Didier Ratsiraka afin de passer à un deuxième tour, et ce, à l’issue de deux auto-proclamations, puis il a alors fait jeter un peu moins de deux mille partisans du Président Didier Ratsiraka –en grande majorité des côtiers- en prison. Certains y étaient morts.
Mais, entre 2002 et 2018, de l’eau a coulé sous les nombreux ponts de la Grande Ile. En 2002, il avait face à lui un Président vieillissant, fatigué par presque un quart de siècle d’exercice du pouvoir suprême. Beaucoup parmi la population ne l’avaient que trop vu, entendu et cru. On aspirait à vivre autre chose, et à voir quelqu’ un d’autre diriger la nation et se pavaner à la télévision nationale.
Aujourd’hui, Marc Ravalomanana a bien entendu beaucoup perdu de son aura d’antan. Il n’a pas tenu ses promesses d’enrichir les pauvres et de ne pas appauvrir les riches. Au contraire, de nombreuses sociétés ont périclité à cause de l’égoïsme exacerbé et de la concurrence déloyale du Président-Pdg de Tiko S.A., certaines se sont vues spolier leurs terres (Madagascar Autruches entre autres) et leurs pierres précieuses (Jeannot Le Quartz), d’autres ont été financièrement massacrées par des contrôles fiscaux à répétition et ont vu leurs dirigeants jetés en prison et même l’un d’eux y mourir (Les 3 Frères), d’autres encore ont dû faire face à la concurrence d’importateurs qui bénéficiaient d’avantages fiscaux qui les mettaient en position de force face aux producteurs locaux, on se remémore le sort réservé aux sociétés malgaches tenues par des Malagasy Afoma, Kobama, Savonnerie Tropicale et autres.
Il est par ailleurs soupçonné d’avoir lui-même commandité le fameux Lundi Noir du 26 janvier 2009, afin de salir à jamais la lutte populaire tendant à le buter hors du pouvoir. D’ autant plus que des informations circulaient à l’époque comme quoi il aurait préalablement fait assurer à l’étranger ses biens meubles et immeubles plusieurs mois avant le déclenchement de ces émeutes qui ont vu la passivité étonnante des forces de l’ordre, sur son ordre, comme il l’a lui-même précisé sous les objectifs des caméras à l’époque. En 2009, il a fait venir des mercenaires sud-africains pour diriger la répression contre les manifestants et le massacre de ces derniers par la garde présidentielle, lorsque les partisans d’Andry Rajoelina sont venus le provoquer en plein jour devant son palais à Ambohitsorohitra le 7 février.
Il ne faut pas oublier les fusillades, exactions et provocations à des émeutes commises par les milices pseudo-pacificatrices surnommées par la population « Zana-dambo » (fils de porcs) à Ambilomagôdro (province de Diégo-Suarez), Majunga (des dizaines de maisons d’Indopakistanais et de Malgaches incendiées et pillées), à Brickaville, à Fianarantsoa et ailleurs.
Donc, provoquer un « 2002 bis » en cette année 2018 serait éminemment risqué, même si la déconfiture sera par trop cuisante et l’amour propre meurtri en cas de large victoire de l’adversaire. Un adversaire qui est d’ailleurs en train de le vaincre pour la énième fois. Il sera peut-être enfin temps pour l’industriel politicien de songer à la retraite après toutes ces terribles humiliations encaissées au fil de ces dernières années. Il est désormais clair que le Dieu qu’il a instrumenté à des fins strictement politiques et électoralistes des années durant lui a tourné le dos depuis belle lurette.
Bernard S.